Si le harcèlement repose sur une définition officielle (1) qui conduit les entreprises à mettre en place des préventions adaptées, le burn out ne bénéficie pas de spécificités particulières en ce domaine. Il est, en conséquence, soumis à un principe général en matière de santé et de sécurité au travail qui impose à l’employeur « de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs » (2).
Une action politique a été menée ces derniers mois, dans l’objectif de faire reconnaître le burn out comme maladie professionnelle. La création d’un « tableau », qui énumère les conditions nécessaires pour que la pathologie en cause soit considérée comme étant d’origine professionnelle, aurait permis la reconnaissance de l’affection et la définition plus précise de ce syndrome en passe de devenir la nomination de n’importe quel malaise au travail. Le législateur n’a pas choisi pour l’instant de faire apparaître le burn out dans les tableaux du régime général du code de la Sécurité sociale ou du régime agricole. Le tableau clinique est trop complexe pour l’identifier comme une maladie qui trouverait ses origines essentiellement sur la scène du travail. Cet argument a été déterminant dans la prise de décision. Si cette conclusion nous semble préférable, c’est aussi pour d’autres raisons.
Le tableau clinique est trop complexe pour l’identifier comme une maladie qui trouverait ses origines essentiellement sur la scène du travail.
Le burn out est considéré comme un syndrome, il est la nomination de nombreux symptômes qui « parlent » d’un malaise au travail et qui émergent dans des circonstances professionnelles particulières. Si la personne vient porter ses symptômes à la connaissance de l’employeur, ce dernier doit répondre à son obligation de résultat et prendre les mesures nécessaires pour lui assurer sa sécurité et protéger sa santé.
Quand un burn out est repéré chez un salarié, le traitement individuel et psychique reste, à ce jour, la voie privilégiée. Le traitement porte rarement sur le travail.
La voie relationnelle peut être éventuellement explorée et peut entraîner la mise en cause, parfois un peu rapide, du management, sans prendre en compte la complexité du système dans laquelle la relation est prise. La réponse apportée est le plus souvent le traitement psychologique par des coachs ou des psychologues, plateformes d’appels, et l’adresse au médecin du service de santé au travail. Les symptômes, aussi insupportables soient-ils, ne doivent pas néanmoins être le seul point de focalisation.
Que penser alors de ces circonstances particulières où ces symptômes émergent? Quelles sont les caractéristiques de l’environnement, des conditions de travail dans lequel le salarié va développer ces symptômes d’épuisement? Ces symptômes peuvent-ils être le révélateur de dysfonctionnements plus structurels du travail, de l’entreprise, de l’organisation, de ses transformations? Et si le burn out était une manifestation indirecte des « blindspot » (3) de l’entreprise? Le symptôme d’un point de vue clinique porte une vérité refoulée, un message énigmatique pour la personne, mais le serait–il aussi pour l’entreprise ou toute institution?
Le symptôme porte une vérité refoulée, un message énigmatique pour la personne, mais le serait-il aussi pour l’entreprise ou toute institution?
Si nous envisageons le burn out comme un signe qui vient dire quelque chose du sujet, il est aussi le révélateur de difficultés parfois invisibles de l’entreprise. Un salarié en burn out peut, par sa sensibilité particulière, être l’indicateur de dysfonctionnements de l’organisation, des pratiques managériales, d’une transformation trop rapide et, en conséquence, le signe avant-coureur de problèmes qui apparaîtront plus tard et pourraient mettre l’entreprise en risque opérationnel.
Dans cette hypothèse, le traitement individuel est insuffisant, il s’agit de regarder le travail, de mettre en évidence ces dysfonctionnements opaques, sans se limiter à l’analyse réductrice de la charge et du temps de travail. En effet, le travail est confronté depuis ces dernières années à une grande difficulté. Il est en mal d’analyse qui se fonderait sur une représentation inscrite dans sa modernité. La transformation par les outils numériques est la plus grande révolution de la structure même du travail, mais se trouve confrontée à une obsolescence de ses pratiques d’analyse. Les modèles n’arrivent plus à rendre compte de la réalité du travail contemporain. Le travail ne peut plus se réduire à une succession de tâches pour aboutir à un résultat.
Les tâches s’entourent de « plus » -partie relevant de l’opacité, de l’immatérialité qui échappent à l’autre et au travailleur, l’aspect du travail attaché à la relation, au réseau, à l’évaluation et au contrôle, à la connexion numérique, toutes ces « choses » qui viennent se rajouter aux tâches à réaliser et qui les lient dans un ensemble- et de « reste » -ce qui n’est pas réalisé, l’endroit où la personne bute, là où elle n’est plus dans le résultat attendu ou contributif, c’est tout ce qu’elle n’arrive pas à résorber, absorber -qui se transforme chez certains salariés comme de « l’en trop ». Le burn out peut, par exemple, être le révélateur d’un manque de décisions, d’arbitrage, de tri, de répartition, et ce, à différents niveaux hiérarchiques, ou révéler plus simplement que trop de reste peut être l’indicateur d’un risque opérationnel à venir.
Dans certains entreprises ou services, la saturation engendrée par trop de réunions, de procédures, de chiffres, de contrôles, de mails, d’interruptions, d’informations, de sollicitations incessantes, d’images, de bruits, d’agressivité, de violence vient faire une rencontre toute particulière avec des salariés qui développeront un syndrome d’épuisement… Le burn out peut être la réponse symptomatique de la saturation du travail que le sujet vit comme de l’en-trop. Le burn out vient donc révéler un niveau de saturation qu’il s’agit de prendre en compte comme signe d’une organisation arrivée à son point maximum d’absorption.
Le travail est conçu principalement en terme adaptatif, si bien que les mutations sont réalisées en prenant en compte la résistance possible des salariés au changement, mais rarement le point « d’impossible » des transformations, tant pour les salariés, que pour l’entreprise et son organisation. Là encore, les salariés épuisés peuvent mettre en évidence que l’entreprise a atteint son point limite de transformation, pour l’instant. Il faudra donc laisser le temps pour un palier de stabilité, avant de poursuivre. Sans prendre en compte ce point, l’entreprise se met à un moment ou un autre, là encore, en risque opérationnel.
Le sujet « porteur » d’un burn out montre et occulte en même temps par sa souffrance ce qui n’est pas visible: les blindspots de la complexité du travail dans l’hypermodernité.
Il vient par ses symptômes révéler une vérité opaque de l’entreprise, ses dysfonctionnements en angle mort. Les salariés porteurs de syndrome de burn out sont des capteurs, ils alertent sur les ratés, les désordres d’un système. C’est la raison pour laquelle les entreprises ont tout intérêt à porter un autre regard sur le burn out.
Tout burn out signalé devrait faire l’objet d’une analyse approfondie du travail, d’un véritable décryptage de la situation: structure et nature du poste, mode d’exercice, contraintes spécifiques, organisation, mode managérial, historique du poste, point d’impossible de la transformation… avec une analyse spécifique « tâches- plus- reste » et « saturation ». Cette approche sur le travail devrait limiter, entre autres, le burn out et plus généralement de nombreux troubles psychosociaux, mais permettre aussi de limiter de nombreux dysfonctionnements à impact opérationnel.
La tendance politique à la standardisation des symptômes du burn out et la reconnaissance en maladie professionnelle risquent d’entraîner un traitement psychologique exclusivement centré sur la recherche de disparition des symptômes et rendant ainsi plus difficile, et moins accessible, la prévention du côté du travail.
Le burn out est un malaise sérieux en prise avec la scène professionnelle, qu’il convient de traiter au niveau psychologique, social et organisationnel.
Le traitement centré uniquement sur le salarié sans analyser ce que ses symptômes révèlent, prive l’entreprise d’un savoir essentiel sur ses fonctionnements.
(1) Accord européen du 26 avril 2007, transposé au niveau français par un accord national interprofessionnel du 26 mars 2010. Arrêté du 23 juillet 2010
(2) Art L. 4121-1 du Code du travail. Loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002
(3) Point aveugle, angle mort
Publié sur le Huffington Post par